À l’occasion de l’inalpe de Mont-Lachaux qui s’est déroulée jeudi 27 juin, pas moins de 130 génisses ont été bénies par le père Pablo Pico, curé de Lens et de Saint-Maurice de Laques. Une occasion pour les éleveurs et les propriétaires de se retrouver dans une ambiance conviviale, et de laisser leurs bêtes à l’alpage le cœur confiant.

Il était temps, et le soleil, heureusement, était là pour le confirmer. La montée des génisses à l’alpage de Mont-Lachaux – situé sur les hauteurs de Crans-Montana, entre l’Arnouva et Bella Lui – a eu lieu tard cette année, en raison d’une météo capricieuse et fraîche. Mais ce jeudi 27 juin, l’atmosphère estivale était idéale pour l’inalpe. Appartenant à différents propriétaires du Valais central et du Haut-Valais, 130 génisses de la race d’Hérens sont arrivées sur les 161 hectares d’herbe qui feront leurs délices jusque début octobre.

Combats de génisse sur l’alpage de Mont-Lachaux, le 27 juin 2024

Derrière les fils délimitant un immense parc, les jeunes vaches montrent au grand jour ce qui fait leur ADN : la lutte. Les cornes s’entrechoquent, les sabots soulèvent la terre, et les cloches résonnent avec fracas dans des combats en duo qui permettront d’ici quelques jours d’établir une hiérarchie et de déterminer la reine du troupeau.

Abrités sous deux tentes dressées à proximité, propriétaires, éleveurs, autorités locales et amateurs de la race d’Hérens sont venus pour cette étape importante, marquant une nouvelle saison. On discute de la qualité de l’herbe, on se remémore des souvenirs de jeunesse et on s’émerveille de ce spectacle grandeur nature en grignotant des sandwichs au jambon. Pendant ce temps, les bergers, venus de Roumanie, veillent sur leurs protégées d’une saison.

Il fait chaud sur l’alpage. On est venu du Haut-Plateau, mais aussi d’Évolène ou du Haut-Valais.

Bientôt, le cor des alpes résonne, apportant de la solennité à l’évènement. Il est accompagné par le bruit discret de clochettes, masqué par le tintamarre des cloches des génisses.

Après une allocution de Michel Rey, président de la Bourgeoisie de Montana et de la Bourgeoisie de l’Ancien Lens, le curé de Lens entame une prière de louange et de bénédiction, rendant grâce à Dieu pour la beauté de sa création. Un extrait du livre de la Genèse est lu. Puis, après la récitation du Notre Père, le père Pablo Pico longe une partie du parc en agitant son goupillon pour bénir le troupeau. Les génisses seront sous la protection de leur Créateur pendant ces mois d’été à l’alpage.  

Apéritif et raclette offerte par Pascal Cordonier, agriculteur à Lens avec ses deux fils, sont ensuite dégustés, et unanimement appréciés par les participants à l’inalpe.

Un entretien naturel pour la future saison de ski

Entretien avec Michel Rey, président de la Bourgeoisie de Montana et de la Bourgeoisie de l’Ancien Lens.

Que signifie cette journée pour vous ?

C’est une journée particulière, car il n’y a qu’une inalpe par année. C’est le mélange des bêtes, et c’est assez passionnant car il y a des combats. Tous les propriétaires sont là pour une journée qui est conviviale, avec la raclette et l’apéro. Et avec le beau temps en plus, c’est magnifique et très enrichissant.

Observez-vous des changements au fil des années ?

Cela fait 8 ans que je suis président de la Bourgeoisie et de la Grande bourgeoisie. Non, il n’y a pas de grandes évolutions, seulement quelques petites adaptations chaque année, mais c’est encore la tradition «séculaire» : la montée à l’alpage, le mélange des bêtes, et ensuite la saison estivale. On a moins de problèmes car ce sont des génisses, donc il n’y a pas de traite ni de fabrication de fromages. C’est beaucoup plus simple, il y a moins de travail. Les seuls problèmes qu’il peut y avoir sont les orages, les bêtes sont alors affolées, elles cassent le fil et partent, ou si des cyclistes passent à travers les fils, les cassent, et les bêtes s’enfuient et il faut aller les chercher. Parfois cela arrive la nuit, il faut aller dans les forêts, une tâche qui revient au personnel [les bergers, ndlr].

Pourquoi le personnel vient-il de l’extérieur ?

C’est un travail saisonnier, de trois mois seulement. Un travail difficile, entre 90 et 100 jours, sans un jour de repos. Ils sont sur le qui-vive 24H/24. Ils vont dormir mais on toujours à l’oreille les cloches. S’ils entendent trop de bruit, ils doivent aller voir ce qu’il se passe, et s’il n’y a plus de bruit aussi. C’est donc un travail sans interruption. Il y a aussi une question d’organisation pour se reposer : les vaches vont dormir l’après-midi, elles mangent matin, midi et soir… Mais il doit toujours y avoir quelqu’un pour contrôler.

Les génisses vont-elles rester tout l’été à cet endroit ?

Non, les vaches pâturent dans la région pendant une dizaine de jours, ensuite elles vont jusqu’à Chetzeron, puis elles montent jusqu’à Bella-Lui, et elles redescendent jusqu’à Cry d’Er, et le dernier jour reviennent ici. Le but de ce circuit est de manger toute l’herbe qui se trouvent sur les pistes de ski. Si la neige vient sur de l’herbe courte, elle va mieux s’accrocher. Autrement, il faut faucher. C’est donc aussi un travail d’entretien écologique. Cela entretient le paysage, et pour les touristes, c’est aussi agréable. Ils sont friands de ce côté naturel.

Et que change cette présence religieuse ?

À titre personnel, ça ne change rien. Mais beaucoup de gens sont très sensibles à la protection du bétail et du personnel qui travaille. Alors je ne suis pas contre, cela apporte un côté spirituel et protection divine, et si cela fait plaisir à des gens, c’est très bien.

Temps de prière pour la bénédiction du troupeau

«La tendance est à la diminution des troupeaux»

Entretien avec Joël Briguet, procureur à la montagne du Mont Lachaux. Il s’occupe de la gestion de l’alpage, qui est sous le patronage de la Grande bourgeoisie de l’Ancien Lens, comportant les bourgeoisies de Montana, Chermignon, Lens et Icogne.

Que représente ce moment de l’inalpe pour vous ?

C’est un moment important car cela pérennise tout l’espace du Mont Lachaux, qui est magnifique. Les bêtes pâturent, ce qui sert à l’entretien. C’est aussi une fierté de voir ces bêtes qui luttent, ces éleveurs attachés à leurs bêtes, si spéciales, de la race d’Hérens – elles sont malignes, affectueuses, têtues aussi parfois. Il s’agit d’un moment particulier car c’est le dernier alpage de la région qui monte. Les propriétaires laissent leurs bêtes dans les estivages pour faire leurs foins et les travaux à la ferme.

Chaque année, cet évènement revient. Avez-vous remarqué une évolution au fil du temps ?

L’inalpe se déroule à la même époque, à partir du 20 juin. Cela dépend de la nature, de l’avancement de la pâture… L’année dernière, c’était le 22 juin. Avant, je gérais le printemps, à partir du mois de mai, donc deux troupeaux d’environ 80 bêtes en bas dans les parcs, et ensuite on venait ici à l’alpage. On venait donc avec environ 150 bêtes chaque année. Maintenant, on voit une diminution du cheptel. Il y a quand même toujours des passionnés, mais ce qui m’inquiète un peu c’est de voir que beaucoup de ces gens on déjà un certain âge, et ont un peu de peine à trouver des successeurs. Cette situation est venue car les normes sont tellement exigeantes que les jeunes ne peuvent plus se permettre de faire ce job à côté. Il y a trop d’investissements à faire pour qu’ils puissent garder les bêtes eux-mêmes. La tendance est à la diminution des troupeaux, ici et dans tout le Valais.

Cela ne va pas pour autant disparaître, il y aura toujours des passionnés, et des terrains il y en a assez. Mais il faudrait donner les moyens aux gens qui veulent le faire de pouvoir le faire sans qu’ils ne se ruinent dans de la paperasserie ou dans des investissements impayables. Je trouve que les exigences sont grandes, et je pense que c’est un peu exagéré.

Joël Briguet face aux lutteuses

Quel sens a pour vous la présence du curé aujourd’hui ?

Pour moi, (…) ces traditions, ces valeurs sont importantes. Bien sûr, on croit ou on ne croit pas. C’est moi qui ai insisté pour que le curé revienne. Il n’était plus venu, cela ne semblait pas nécessaire. J’ai dit, si, nos ancêtres ont fait ça, on va continuer à faire ça, et pour moi c’est très important.

Mes enfants ont vu l’inalpe, j’espère que mes petits-enfants la verront et que c’est une tradition qui va continuer. Il ne faut pas oublier que ce n’est pas du folklore, c’est nécessaire pour l’entretien du paysage, de nos campagnes, de nos espaces, y compris plus bas, donc il faut vraiment que cela continue le mieux possible.

Souvenirs d’antan

Roger Rey, habitant et sacristain de Diogne, musicien de la Société folklorique Lè Réchètte dè Mountanna

«Avant, on montait à l’alpage à pieds depuis en bas, car il y avait beaucoup moins de circulation. Cela nous prenait deux heures de temps. Parfois, des bêtes faisaient les folles, alors il fallait leur courir après pour les ramener dans le troupeau. Le curé, oui, il était toujours là, et les gens venaient tous vers lui lorsqu’il commençait la prière. Aujourd’hui, il y a peu de jeunes, alors c’est moi qui fait l’enfant de chœur !» (Roger portait le récipient d’eau bénite pendant la bénédiction).

Roger Rey porte un bâton auquel sont attachées des clochettes. Il le secoue pendant qu’un autre musicien joue du cor des Alpes (cf vidéo ci-dessous).