Véronique Briguet, originaire de Lens, est morte aux premières heures du 28 août 2024 à l’hôpital de Martigny, après avoir souffert quelques mois d’un cancer du pancréas. Dans cette interview réalisée durant le temps pascal, elle témoignait de l’espérance et de la paix qui l’habitaient profondément, malgré les souffrances quotidiennes. Une force intérieure puisée dans la foi.

La maladie, « est une phase difficile, mais très riche », confiait en avril dernier Véronique Briguet.

Véronique, célibataire et sans enfant, est à la retraite depuis peu. Cette femme d’une soixantaine d’années était auparavant professeur de physique au Collège des Creusets à Sion. D’un tempérament à la fois actif et contemplatif, elle a beaucoup déployé ses talents et son énergie à travers la peinture d’icônes, le jardinage, et l’accueil de groupes au chalet familial. Elle a également pris soin de la chapelle située sous la statue du Christ Roi, durant deux années (2022-2023). En novembre 2023, un diagnostic médical détermine l’origine de douleurs persistantes la gênant dans son quotidien: il s’agit d’une tumeur cancéreuse au pancréas. Véronique choisit de ne pas suivre de chimiothérapie et de vivre cette maladie chez elle, autant que possible. Cette interview a été réalisée le mardi 2 avril 2024, deux jours après Pâques.

Véronique, comment as-tu vécu cette fête de Pâques ?

J’étais en famille, chez ma sœur qui a des enfants et des petits-enfants. J’ai vraiment profité, dans la joie de voir cette vitalité. La seule chose qui allait moins bien, c’est que je ne pouvais pas beaucoup manger. À part le fait de faire très attention à ce que je mange, j’en ai profité. Je suis aussi restée tranquille dans mon coin, mais c’était vraiment une très belle fête.

Quelle étape de ta maladie es-tu en train de traverser ?

Je suis en soins palliatifs, mais cela dès le début, car mon cancer a été détecté trop tard. Je prends des antidouleurs et des médicaments pour aider à la digestion, car le pancréas sécrète le suc gastrique, et je n’en ai pas assez, donc je dois prendre quelque chose pour m’aider.

Pourquoi n’as-tu pas voulu faire de chimiothérapie ?

Si je l’avais faite, ce n’était de toute façon pas pour guérir, mais c’était pour prolonger. Or c’était trop difficile pour moi, j’étais vraiment très mal après une seule séance. Je préférais donc avoir le temps de bien vivre, plutôt que d’essayer de prolonger quelques mois, et d’être dans la souffrance.

Quel est ton état d’esprit face à cette maladie ? Ressens-tu de la colère ?

Je n’ai jamais eu de colère. J’avais toujours un problème de douleurs sous les côtes, à droite. Or la tumeur du pancréas est à gauche. J’ai toujours dit que j’avais mal à droite, et de temps en temps je sentais un peu à gauche… Mais quand on m’a dit qu’il y avait une maladie, qu’elle soit grave ou pas, ce n’était pas important. On avait au moins trouvé une cause, pourquoi je n’étais pas bien. Auparavant, j’avais sans arrêt des bons conseils, bien intentionnés, mais dans toutes les directions, et j’en avais marre d’entendre ces conseils.

Quand il y a eu un diagnostic, quelque part j’étais donc soulagée de savoir de quoi il s’agissait. Au début il n’y avait pas de colère à cause de cela, puis après il y a eu le sacrement des malades qui m’a changée intérieurement. Depuis, il n’y a plus de raison d’avoir de la colère.

Qu’est-ce que ce sacrement des malades est venu changer en toi ?

Quand j’ai appris le diagnostic, je me suis dit que ce serait une fin de vie certainement extrêmement difficile, avec des douleurs, des restrictions de vie… Ce sont les douleurs qui me faisaient le plus peur. Depuis que j’ai eu le sacrement, je me dis que c’est possible que je n’aie pas beaucoup de douleurs – j’en ai maintenant, mais elles sont tout à fait supportables, et c’est par moments seulement. Peut-être que je n’en aurai pas tellement ou que je serai épargnée de moments de grande souffrance. Et c’est aussi possible que je parte autrement: par un accident ou une hémorragie soudaine. Ou c’est même possible qu’une tuile me tombe sur la tête! Donc je ne sais pas quel sera l’avenir, et il est même possible qu’il y ait une guérison. Je laisse ouverte la possibilité d’un miracle, car ce serait un vrai miracle au stade où j’en suis, la médecine est formelle: il n’y pas de guérison possible.

Icône sur bois représentant le lavement des pieds, réalisée par Véronique

En quoi ton regard sur la mort a-t-il changé ?

Avant, j’avais déjà beaucoup de confiance en l’au-delà. Depuis ce sacrement, j’ai l’impression d’avoir déjà un pied de l’autre côté. Comme s’il y avait un pas supplémentaire dans la confiance. Mais pour moi c’est clair, on meurt un jour. Étant donné que je n’étais pas tellement confortable dans mon corps avant, je me suis dit que je serais délivrée de toutes ces tensions que j’avais tout le temps.

Hormis ce sacrement, y a-t-il autre chose qui te soutient pour traverser cette maladie ?

Oui, bien sûr, la foi. Quand ça va moins bien, je répète simplement les mots «Jésus, Jésus, Jésus…». Ce ne sont que les mots, je n’ai pas besoin de faire l’effort de me représenter quoi que ce soit, c’est comme un mantra. En fait j’ai eu cette image – je ne sais plus de qui je l’ai entendue – qu’entre ma croix et moi, il y a Jésus. C’est le coussin sur lequel je me repose par rapport aux problèmes physiques, à la mort, et surtout à la maladie.

Y a-t-il des témoins de la foi qui t’accompagnent ?

J’aime les amis de Jésus. J’aime bien Lazare par exemple. J’aime bien Marthe aussi, et à l’époque j’étais beaucoup Marthe, maintenant je suis un peu plus Marie, car j’ai des restrictions d’activité. Les saints plus modernes me parlent moins. Il me semble que si j’ai Jésus, j’ai déjà tellement. Et Marie aussi, évidemment. Marie est un peu plus discrète, mais elle est aussi plus facile à invoquer dans toutes les circonstances.

Le fait d‘avoir écrit des icônes a-t-il creusé quelque chose en toi ?

Très clairement. Il y avait par exemple des couleurs, comme le rouge, que j’avais beaucoup de peine à peindre, car cela m’évoquait le sang, entre autres. Alors que maintenant, s’il s’agit de sang, cela m’évoque celui d’une femme en train d’accoucher. Donc c’est pour un bien. Il peut y avoir des souffrances, mais c’est pour quelque chose de grand et de beau, donc pour de la vie, pour un bien.

Une autre icône, représentant notamment sa sainte patronne

Tu crois en cette fécondité de la maladie, de l’épreuve ?

Oui, mais une fécondité qui n’est pas seulement matérielle ou humaine. C’est aussi une fécondité d’âme, ou d’avenir, je ne sais pas, et je n’ai pas à le savoir d’ailleurs. J’ai confiance, tout simplement.

Quel est ton regard sur les souffrances qu’il y a dans le monde ? Cette maladie fait-elle voir autrement les évènements de l’actualité ?

J’ai souvent eu l’impression que dans mon corps, il y avait des zones en résonnance avec des problèmes extérieurs. Quand j’enseignais par exemple, quand des classes étaient turbulentes, j’avais l’impression que c’était cela qui me créait les mauvais de ventre. Gaza, par exemple, je le ressens plutôt à gauche dans mon corps. C’est comme si ma maladie était en résonnance avec les problèmes de Gaza. En quelque sorte, je vis corporellement en lien avec des gens qui sont eux-mêmes dans des souffrances terribles. Pour moi c’est une participation à ces problèmes-là. J’aurais presque mauvaise conscience d’être en pleine santé, riche, dans un monde qui va très bien, alors que d’autres meurent de faim et meurent dans les guerres. Il y a là une sorte d’équilibrage qui se fait entre la vie du monde et ma propre vie.

Est-ce que malgré cette épreuve tu éprouves de la gratitude ?

Oui, pour tout. Pour le fait d’avoir été avec ma famille à Pâques. Pour la possibilité de te parler maintenant, de témoigner. Pour ce beau bouquet de fleurs. Pour le fait que beaucoup de personnes m’appellent, me recontactent, soit des anciens collègues, soit de la famille, soit des gens d’ici, du village ou des personnes que je connaissais par d’autres biais. Ou pour la découverte d’autres tâches dans la vie. Avant j’avais beaucoup besoin que mes mains soient occupées. Maintenant, j’ai beaucoup besoin de parler, simplement, et d’écouter.

C’est une phase de vie super riche. C’est une phase difficile, mais très riche. Il y a du bonheur, merci mon Dieu ! Et je suis beaucoup plus sensible à des tas de choses.

Par exemple ?

On m’a toujours dit par exemple que la jalousie était un défaut. «Ne sois pas jalouse», me disait-on car j’étais un peu jalouse de ma sœur ainée. Maintenant, je vois la jalousie comme la souffrance du deuxième enfant qui voit ses parents faire des choses avec le premier et pas avec le second. Je vois donc cela comme le résultat d’une souffrance plutôt que comme un péché.

Qu’est-ce que tu aimerais laisser, et qu’aimerais-tu que l’on dise de toi ?

Je laisse mes icônes, l’interview d’aujourd’hui, un peu de bien matériel à mes sœurs. Je laisse certainement beaucoup de semences que je ne connais pas, de tous petits détails: un sourire ici ou là, une chicanerie… De toutes petites semences, alors il y aura des choses qui vont rester. Et ce que l’on dise de moi ? La vérité. Mais qui sait la vérité ?

Sortie à Eischoll (Haut-Valais) en juillet 2022, avec des amis d’un groupe biblique. (Crédits: Johanna Barras)

Quelle peut être notre prière pour toi ?

Je reçois déjà beaucoup de prières, de beaucoup de personnes. «On va te guérir», me dit-on parfois : c’est une prière que je n’aime pas beaucoup car elle va peut-être à l’encontre du projet de Dieu, et je ne sais pas quel est le projet de Dieu. Des prières pour que je sois soulagée, aidée, oui. J’en reçois déjà beaucoup et je remercie tous ceux qui prient pour moi.

Et toi, quelle est ta prière ?

Pour que la paix soit dans le monde, pour que la paix règne, d’abord ici, dans ma famille, entre les gens du village, en Suisse – par saint Nicolas de Flue, je pense souvent à lui. Je prie aussi pour nos dirigeants, pour qu’ils soient moins imprévisibles que les Américains et les Russes !.. Et je prie aussi pour tous les conflits. Je me sens proche aussi des malades, de l’ambiance de l’hôpital. Je n’ai pas du tout envie d’aller dans un hôpital, mais je me sens proche de toute cette fourmilière de malades et de soignants. Je prie aussi plus spécialement pour deux personnes qui sont elles-mêmes malades et que je connais. On est en lien d’ailleurs, on s’écrit, et cela me fait du bien d’être reliée à ces personnes malades.

Un mot à ajouter ?

Je voudrais remercier… Merci Seigneur, merci Pablo, merci à tous et pour tout.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Lens

Une vue familière pour Véronique, qui cultivait un jardin à Lens

Extraits d’écrits de Véronique

«Ce ne sont pas des prières de guérison que je vous demande, mais des intercessions pour que je puisse vivre pleinement ma nouvelle situation de manière à ce que « la gloire de Dieu » soit manifestée et que cela contribue « au salut du monde ».

Peut-être d’ailleurs que vous-même serez amenés un jour à me confier des cas difficiles et qu’ainsi nos prières respectives se compléteront les unes les autres, rejoignant la grande louange au Très Haut, éternellement présente dans les Cieux.

Et peut-être aussi que mon chemin sera celui miraculeux de la guérison, m’amenant à découvrir de toutes nouvelles perspectives de vie.»

Message d’annonce de la maladie à deux amis prêtres orthodoxes

«Lorsque P. Pablo est venu, il m’a indiqué que ce sacrement était fondé sur l’imposition des mains par les anciens sur les malades, selon l’épitre de Jacques [cf Jc 5, 13-16]. J’ai vraiment pu adhérer à cela et ai effectivement ressenti comme un flux me traverser de haut en bas, le temps que ses mains étaient sur ma tête.»

Témoignage sur le sacrement des malades à l’un de ces amis prêtre orthodoxe

«La maladie progresse, mon état physique n’a donc pas été transformé miraculeusement. Par contre je peux vivre la maladie dans une grande sérénité et j’ai l’immense joie de constater que cet état interpelle les nombreuses personnes qui me témoignent de leur soutien. Cela donne véritablement un sens à ma vie.»

Témoignage personnel